Vous l'avez sûrement déjà entendue cette petite rengaine, sortie à tous les coups à l'occasion d'une naissance. Pour moi, la phrase la plus inappropriée qui puisse être dite dans cette situation. Et d'ailleurs, si c'était vrai, pourquoi tout le monde n'a pas 10 enfants ? Ça me fait d'ailleurs penser à un reportage télé à propos d'un salon sur la petite enfance qui m'a fait sourire. Le journaliste demandait aux parents interviewés ce qu'ils pensaient du fait d'avoir un bébé. Beaucoup répondaient la fameuse expression. Quel contraste avec leur grimace quand le journaliste leur demandait « à quand le prochain, alors ? ».
« Que du bonheur », c'est peut-être vrai pour certaines personnes, mais il me semble quand même apercevoir beaucoup d'hypocrisie dans cette phrase. C'est possible aussi que les gens oublient. De mon côté, il me semble peu probable d'un jour oublier toutes ces nuits sans sommeil, les douleurs de l'allaitement, les disputes conjugales liées au manque de sommeil et le temps d'apprivoiser un nouveau fonctionnement familial, ces heures à donner des biberons, entrecoupés de pleurs, et ces journées entières ponctuées de cris. S'il est certain que ça en vaut la peine à mes yeux et que je ne regrette rien, je réfléchirais à deux fois avant de remettre le couvert !
Quand je suis allée montrer mon bébé à mon travail, beaucoup de gens m'ont dit la phrase « petite sœur » : « Profite, ça passe trop vite ». Mon bébé était âgé de 2 mois. J'avais arrêté l'allaitement au bout d'une semaine, à cause de crevasses très douloureuses qui assimilaient pour moi l'allaitement à des séances de torture se succédant à un rythme effréné, et qui surpassaient à mes yeux de très loin les douleurs de l'enfantement. Mon bébé ne dormait pas la nuit, et dormait toute la journée. J'avais une tête à faire peur. Mon bébé est né à la mauvaise saison, je ne sortais que rarement. À quelques semaines, les interactions avec votre bébé sont rares, et appelons un chat un chat, à part manger, boire et salir sa couche, il ne se passe pas grand-chose. C'est la raison pour laquelle lorsque la première personne à qui mon bébé a souri fut un de mes lointains collègues, j'ai assimilé cela à un véritable évènement, que j'ai eu beaucoup de mal à avaler vu la situation. Alors, quand on me disait de profiter, je souriais bêtement en berçant ma poussette vide parce que mon bébé était dans mes bras et que j'étais complètement à l'ouest, mais mon for intérieur criait « mais profiter de quoi, bon sang ? ».
C'est pourquoi je m'abstiens de ce genre de phrases, anodines pour beaucoup, mais assassines pour ces parents en souffrance qui tombent du piédestal de la parentalité enchantée. Je leur préfère des expressions de ce style : « Bons débuts à 3 ou 4 ou…/Belle rencontre avec votre bébé. Courage pour les moments plus compliqués, c'est normal, on passe tous par là ». En tout cas, ouvrir une porte pour permettre au jeune parent de s'exprimer sur telle ou telle difficulté, et qu'il ne se sente pas en situation d'échec s'il vit certains moments comme des épreuves.